Entre artisans : Travailler dans l'atelier familial, comment ça se passe ?

Entre artisans
23 SEPT 2021
Equipe Menuibat dans ses ateliers de menuiserie/ébénisterie

Aujourd’hui, 83% des entreprises en France sont des entreprises familiales contre 60% en Europe. Ce modèle continue de séduire de génération en génération dans un monde du travail en perpétuelle évolution.

Julie est chargée de projets dans un atelier de menuiserie de 12 personnes dans l’Oise. Cette entreprise a été fondée par son père Erick, elle y travaille également avec sa mère Marie-Jeanne et son frère Thomas. Une entreprise complètement familiale !

Bonjour Julie, dans la vie de l’entreprise, j’imagine que ta mère s’est retrouvée un peu embarquée dans l’aventure rapidement. C’était une volonté de la part de tes parents de travailler ensemble ?

Oui c’était une volonté, l’entreprise a été fondée par mon père et ma mère l’a rejoint 5 ans après sa création.

En 83 lorsque l’entreprise a été fondée, tu n’étais pas née donc tu as réellement grandi dedans. Est-ce que tu as toujours voulu travailler dans l’entreprise familiale ?

Non, c’est quelque chose qui a mûri avec le temps. J’ai rejoint l’entreprise il y a 3 ans, avant j’ai fait un cursus dans les ressources humaines au Celsa. J’ai travaillé 6 ans dans un gros groupe en France puis à l’étranger et à mon retour en France je ne me retrouvais plus trop dans ce domaine. C’est à ce moment que j’ai fait part à mon père de mon intérêt pour l’entreprise et les challenges qu’il y a autour de la menuiserie.

Du côté de mon père cela a toujours été un rêve de transmettre cela de génération en génération mais c’est moi qui suis allée vers lui pour découvrir autre chose et avoir de nouvelles expériences.

Du côté de mon frère la démarche était équivalente, il nous a rejoint il y a un an après avoir travaillé dans un autre domaine. Lui s’occupe de la partie dessins techniques, il s’est formé en interne pour avoir les compétences nécessaire à ce poste.

Les deux postes existaient déjà et étaient occupés par des personnes de l’entreprise, le jour où ces personnes ont décidé de partir de leur volonté, nous nous sommes positionnés dessus.

Lorsque je suis venue à l’atelier, j’ai remarqué que Thomas appelle vos parents “papa” et “maman” mais pour toi c’est “Erick” et “Marie-Jeanne”. C’est un besoin de faire une coupure professionnelle et ne pas mélanger avec le perso ?

C’est un sujet qui revient beaucoup entre nous ! Pour moi c’était un besoin de crédibilité vis-à-vis des autres employés et des clients. Mais du coup, je continue à appeler mes parents par leur prénom même en dehors du travail. J’ai fait une coupure alors que mon frère pas du tout, j’ai pourtant de très bonnes relations avec eux. Rien ne change à ce niveau là, seulement la manière de les appeler.

Vous vous voyez donc beaucoup, comment ça se passe en dehors des horaires de travail ? Vous vous voyez quand même le week-end, vous partez en vacances ensembles ? Est-ce que vous parlez boulot ou vous coupez vraiment ?

Nous avons réussi à trouver un vrai équilibre entre vie perso et vie pro du côté de mon frère ou du mien. Nous sommes chacun marié, nous avons des enfants et nous souhaitions épargner les discussions de travail à nos conjoints. Il nous arrive d’aborder brièvement des sujets professionnels mais nous coupons court rapidement pour en reparler le prochain jour au bureau.

Mais oui, nous sommes très famille donc nous voyons aussi le weekend ou en vacances !

Comme dans toutes les familles, il peut y avoir des désaccords, des moments de tensions. Comment vous gérez ça pour ne pas polluer le fonctionnement de l’entreprise ?

S’il y a des désaccords professionnels, ce qui fait aussi avancer les choses car si nous étions toujours d’accord nous n’évoluerions pas, nous gérons cela en interne durant les heures de travail. Si jamais nous avons des frictions en dehors du boulot, nous essayons de gérer au mieux nos émotions et éviter les sujets perso ou de les régler lors de la pose déjeuner.

Comment gérez-vous la gouvernance de l’entreprise ? Qui prend les décisions ?

Eric, mon père, est gérant de la société et prend les décisions.

Nous faisons également des réunions de comité de direction pour voir les enjeux stratégiques, la vision de l’entreprise, les objectifs et se mettre d’accord sur une feuille de route afin que tout le monde soit inclus dans la prise de décision. L’objectif pour l’année qui arrive c’est que nous puissions, avec mon frère, proposer les budgets prévisionnels, notre vision des choses, faire la continuité avec ce qui a été fait depuis le début et voir comment avancer pour les années à venir.

Au quotidien comment ça se passe avec le reste des salariés, est-ce qu’ils ressentent un décalage relationnel ?

Nous avons chacun des missions bien définies ce qui limite ce décalage. Quand je suis arrivée dans l’entreprise, j’ai tout de suite dit que j’étais la fille du patron, c’était inutile de cacher les choses. J’ai été testée au démarrage et j’ai dû faire mes preuves comme tout salarié, ce qui est tout à fait légitime et même sain.

Un jour, tes parents vont prendre une retraite bien méritée, est-ce que vous avez déjà prévu cet après ?

Absolument, cela fait partie des projets de transmission qui se préparent sur du long terme. Ils devraient prendre leur retraite d’ici 5-6 ans ce qui nous laisse le temps de préparer cette transmission afin que nous puissions reprendre le flambeau.

C’est un message positif pour les salariés, ils savent qu’il y aura un repreneur et que l’entreprise a pour but de continuer d’exister et de se développer.

Ton frère et toi avez chacun des enfants, est-ce que vous aimeriez leur transmettre ce goût du travail en famille et qu’ils reprennent les rennes de l’entreprise à leur tour ?

Je ne me suis pas du tout posé la question aujourd’hui, nos enfants sont encore très jeunes donc nous avons encore le temps d’y réfléchir !

Nous aimerions leur inculquer les valeurs et le goût du travail évidement mais ils décideront sans pression de ce qu’ils souhaitent faire.

Nous n’en n’avons pas eu de notre côté mais c’est vrai que de savoir que nous reprenons l’entreprise avec mon frère rend très heureux nos parents, c’est une belle réussite pour eux.

Bien sûr, ce serait sympa qu’ils continuent à leur tour mais s’ils souhaitent faire autre chose, c’est leur épanouissement personnel qui sera le plus important.

C’est quoi d’après toi le plus gros avantage et le plus gros inconvénient à travailler en famille ?

Je pense que le plus gros avantage et le plus gros inconvénient sont le même : nous pouvons nous dire les choses et donc avancer rapidement sur certains sujets mais parfois en étant un peu trop cash. Il faut savoir jongler avec les enjeux affectifs et émotionnels. Le gros avantage c’est que nous nous connaissons très bien et nous savons comment chacun réagit.

Est-ce que tu penses que travailler en famille est fait pour tout le monde ?

Non, clairement pas ! Aujourd’hui je suis très heureuse dans cette situation mais si on m’avait dit ça il y a 10 ans… je ne m’y voyais pas du tout car je n’avais pas la maturité nécessaire pour travailler avec mes parents.

Il faut des caractères compatibles, nous sommes très différents tous les quatre mais ça crée une complémentarité.

Pour finir, quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans l’aventure du travail en famille ?

Comme dans tout travail mais dans ce cas en particulier, il faut s’assurer d’avoir un bon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle afin que ça ne devienne pas trop omniprésent.

Mon seul conseil serait de ne pas avoir peur et de foncer, mais il faut quand même se poser les bonnes questions et vérifier la compatibilité de chacun. Et surtout s’assurer d’avoir les compétences nécessaires pour avoir une affaire commune qui roule !